Du désordre dans les stades, que faudrait-il faire ?
Après les évènements du dimanche 2 novembre, lors du match Lyon – Marseille, et l’agression de Dimitri Payet, c’est le 7e épisode violent dans le championnat de France depuis le début de la saison. Jets de bouteilles, insultes, brimades, menaces, les choses ne cessent de s’intensifier et nous sommes en droit de nous demander si tout a été suffisamment fait ou si cela n’est que la malheureuse démonstration du délitement de la société, d’une forme de banalisation de la violence. Le football, aussi, est-il responsable, ou n’est-il que la victime collatérale d’un mécanisme plus structurel ou enfoui ?
Si l’on cherche à expliquer ou à rendre compte, il convient d’abord de poser des faits. Selon les différentes estimations, c’est la première fois, depuis la saison 2009-2010, qu’un nombre aussi important de débordements et d’arrêts de rencontre se présente. Tout semble indiquer que, malgré les mesures, malgré les sanctions, malgré les moyens mis en place, les supporters intensifient leurs agissements, leurs actes et leurs violences.
Mais un autre son de cloche, une autre explication peut aussi émerger. Rappelons que la reprise du football, et de toutes les disciplines professionnelles, suit plus d’un an et demi de confinement et de rencontres à huis-clos. Pendant 18 mois, les stades sont restés vides, les stadiers n’ont pas pu s’entraîner, se former et, dans le même temps, certains ont tout simplement changé de voie, changé de parcours professionnel, profité de la Covid-19 pour se former à un autre métier. Si l’on revient au début de la saison, un certain nombre d’équipes s’est donc retrouvé avec, aux mieux, des stadiers inexpérimentés, venus remplacer ceux partis pendant la crise, au pire, un nombre insuffisant de personnels chargés de surveiller et de prévenir les débordements.
Idem, côté budget consacré à la sécurité au sein des clubs, il a fondu comme neige au soleil. Comme l’a précisé le sociologue Nicolas Hourcade, toujours très au fait du fonctionnement du football professionnel, les équipes ont, délibérément ou non, réduit la part financière consacrée à la sécurité et à l’organisation des rencontres. La crise a été extrêmement couteuse pour l’ensemble des acteurs, les pertes ont été estimées à plus de 600 millions d’euros, il a donc fallu faire des choix et le budget sécurité est malheureusement devenu une variable d’ajustement.
Conséquence : des stadiers de moins en moins expérimentés, un retour à la normale sans prévention ni anticipation, des budgets dédiés à l’organisation et à la sécurité des évènements à la baisse… Il ne pouvait y avoir que des problèmes. Rajoutez à cela une suppression de l’instance nationale du supportérisme en 2018, ce qui n’a pas été dans le sens du dialogue et de la concertation entre les fans, les supporters, les clubs et les forces de l’ordre, vous ne pouviez qu’avoir une animosité supplémentaire. Dire maintenant que tout est dû au football, qu’il serait incapable de contrôler et d’annihiler la violence de ses supporters, que le rugby ou le basket seraient intrinsèquement des disciplines plus douces, plus calmes, où les rencontres se dérouleraient toujours sans problème, serait une erreur absolue et fondamentale.
Le football ne fait que subir les années de déshérence, de souffrance et d’abandon subies par le sport français en général. Et des faits de violence verbale ou physique sont tout autant observables en basket ou en rugby qu’en football. Simplement, le football étant médiatisé, par son statut de sport le plus populaire du pays, un biais de focalisation s’installe et donne l’impression qu’il est seul responsable.
Maintenant, au-delà des constats et des observations, il convient de trouver des solutions. Faut-il, par exemple, comme certains le soutiennent, renforcer les sanctions et réfléchir à des interdictions de stade fermes et définitives, à des huis-clos prolongés, à des matchs arrêtés dès la première incartade et des points en moins à l’encontre de l’équipe supposée fautive ?
En termes de droit, c’est tout simplement injuste et illégitime. On ne peut pas condamner collectivement l’ensemble d’un groupe, d’une organisation pour le fait d’un seul individu ou d’une minorité. Quand quelqu’un ne respecte pas le code de la route sur l’autoroute, on ne ferme pas l’autoroute. Pourquoi le champ du sport et du football devraient sortir du cadre logique de la loi et du droit et subir une répression plus sévère ?
Au contraire, il faut renforcer le dialogue et la prévention, rétablir l’Instance Nationale du Supportérisme, accorder de véritables moyens aux groupes de supporters, en échange de l’assurance d’un contrôle de ses membres, favoriser la coopération et l’entente avec les préfectures et les forces de l’ordre, afin d’éviter la répression préventive, facteur de détestation et d’animosité. Pourquoi ne pas réfléchir à un décalage des horaires des rencontres, comme en Angleterre, où les matchs supposés à risque ont automatiquement été placés en début d’après-midi, afin d’éviter un phénomène d’alcoolisation facilité en soirée ? Ensuite, il faut accorder de véritables moyens à la sécurité et imposer un cahier des charges aux clubs, avec la mise en place de caméras de surveillance, pour pouvoir trouver, arrêter et condamner instantanément le fautif, plutôt que de condamner l’ensemble des supporters non-fautifs, par une fermeture de tribune. Enfin, il faut normaliser les places nominatives et s’éviter une certaine opacité et ignorance sur qui entre et qui sort de l’enceinte sportive.
Bien évidemment, une concertation doit avoir lieu entre tous les acteurs, il faut aller plus loin et éviter une accélération et une multiplication des débordements. C’est en discutant, en dialoguant et en avançant intelligemment qu’on pourra faire bouger les choses et s’éviter un avenir maussade.