Pierre Rondeau : « Le football a failli mourir en octobre dernier »
Le 17 juin prochain sort « Fin de Partie pour le football ? », suite officielle de « Le Foot va-t-il exploser ? », paru en 2018 et annonciateur d’un avenir incertain pour le ballon rond. Son auteur, Pierre Rondeau, économiste et professeur au sein de la Sports Management School, revient sur cet ouvrage et espère que les choses changeront profondément.
Dans quel contexte avez-vous rédigé cet ouvrage ?
En 2018, avec Richard Bouigue, premier adjoint à la mairie du XII° arrondissement de Paris et directeur des politiques au Parti Socialiste, nous avons publié « Le Foot va-t-il exploser » (L’Aube). A l’époque, le livre était profondément politique et nous souhaitions, avec nos convictions et nos idéaux, alerter les fans et les dirigeants du football français face à un péril qui guettait.
Personne ne pouvait s’imaginer que les choses allaient s’obscurcir, alors que Neymar et Mbappé venaient de signer au Paris Saint-Germain, que les droits TV de la Ligue 1 avaient explosé à plus de 1 milliard d’euros, avec l’arrivée du diffuseur espagnol Médiapro, et que la France venait de remporter le mondial. Nous nous posions la question de la stabilité d’un système, ultra-dépendant à la manne télévisuelle, fragile et incertain, avec des modes de consommation en évolution, des recettes à la baisses et des dépenses à la tendance de plus en plus haussière.
Pourtant, malgré un succès critique et populaire d’estime, peu nous avaient écouté et entendu. Certains nous reprochaient notre discours politique alors que d’autres soulignaient notre pessimisme. Pourtant, à aucun moment, nous ne voulions voir le football mourir, bien au contraire. Mon seul but était de le sauver avant qu’il ne tombe malade, de prévenir le mal avant qu’il ne surgisse.
Et finalement, deux ans plus tard, tout ce que nous avions prédit est arrivé, la crise du covid19 associée à la chute du diffuseur ont affiché la fragilité de notre football et son obligation de se réformer, de se restructurer, de changer s’il ne veut pas mourir.
J’ai pris la plume dès le mois de décembre 2020 et ai écrit en quasi-direct « Fin de partie pour le football ? », observant la crise, observant les réactions et les actions des dirigeants et des instances, écoutant les propositions, débattant sur les solutions. Contrairement au premier tome, « le Foot va-t-il exploser ? », cette fois-ci, je n’ai pris aucune posture politique, je n’ai pas appelé à une politique de droite ou de gauche, j’ai seulement voulu écrire un ouvrage positif et clair sur le football et son avenir, quelles que soient les idéologies ou les considérations.
Il est temps que les choses changent et qu’on avance, tous ensemble, vers un meilleur football, plus sain et plus durable. La crise aura quand même eu, je l’espère, cet avantage.
Que dit-il sur la crise qu'a vécu et que continue à vivre le football français ?
Le football a failli mourir en octobre dernier. Les clubs n’ont pas reçu un coup de poignard mais trois, entre l’arrêt de la saison 2019-2020 due au confinement, la crise économique provoquée par le covid19 et la faillite de la chaîne Téléfoot-Médiapro.
Ces éléments conjoncturels ont profondément illustré la fragilité du système structurel du football, son incapacité à présenter des budgets durablement à l’équilibre, à dégager des recettes diversifiées, autres que celles basées sur les droits TV ou le trading de joueur, à exister sans l’aide d’un actionnaire ou d’une action publique. En clair, la crise a révélé à quel point le football seul n’est pas grand-chose, un colosse aux pieds d’argile.
Dans le livre, j’ai souhaité reprendre point par point ces éléments, chapitre par chapitre, rappelant l’histoire du confinement, avec l’arrêt de la saison décidée de façon bizarre et obscure, le cas de la chaîne Téléfoot et son business-model fragile et absurde. J’ai même eu le temps de parler de la Super-league européenne et de la crise qui a touché tout le football européen. J’ai aussi fait un détour vers le football amateur, considérablement fragilisé et en quête permanente de sens.
Finalement, en peu de temps et de façon très synthétique et pédagogique, je pense avoir rendu un livre instructif qui se termine sur un appel à l’action, à la régulation et à l’intervention, car il faut profiter de la situation pour imposer un changement.
Je serai profondément déçu que tout cela ne débouche sur rien et que, trois à quatre ans plus tard, on retrouve le même football de la décennie 2010, basée sur la gabegie financière et le n’importe-quoi économique.
Comment voyez-vous l'avenir ?
Je reprends ici la vision de l’économiste Jérémie Bastien, maître de conférences à l’Université de Reims. Selon lui, et j’adhère totalement à cette vision, la crise conjoncturelle n’a pas provoqué de faillite et de volonté de réformer structurellement car la faiblesse économique des clubs a été cachée par l’action gratuite et inconditionnelle de l’Etat.
Avant 2020, les clubs étaient, dans leur immense majorité, incapable d’assurer un équilibre durable et pérenne, ils étaient sous perfusion permanente des droits TV, du trading et des apports des actionnaires. Pendant la crise, ces trois éléments ont été considérablement altérés et affaiblis. Et alors qu’on aurait pu croire à une nécessaire remise en question et à une restructuration, il n’en a rien été. L’Etat est venu joué son rôle de sauveur en dernier ressort. « Vous n’avez plus d’argent ? Pas grave, on va venir vous aider sans condition ». Des prêts ont été octroyés, des exonérations votées, des aides versées sans qu’à aucun moment on n’impose de contreparties. Les gouvernements européens ont aidé les clubs sans qu’ils ne leur imposent de réformes structurelles profondes, comme un ralentissement des dépenses, des plafonds salariaux ou des constitutions de fonds propres.
Résultat, on se retrouve dans une situation où la conjoncture a fragilisé les modèles sans qu’aucune action de renforcement ne soit réalisée. C’est comme si, face à une fuite d’eau dans un appartement, plutôt que de réparer la fuite, on n’avait seulement remplacé le seau d’eau. Mais la fuite est toujours là !
Si personne ne se décide d’agir en profondeur, mon inquiétude est qu’à terme, on aboutisse vraiment à un écroulement, le football ne survivra pas à une deuxième crise. Et là, la Super-Ligue européenne et la fin des championnats nationaux deviendront véritablement des évidences.
Mon appel est d’agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard. J’espère que je serai entendu.
Fin de Partie pour le football ? Edition L’Aube
https://livre.fnac.com/a15760758/Pierre-Rondeau-Fin-de-partie-pour-le-foot