Sport éco - Comment est fixé le prix d'un club ?
Comment est fixé le prix d’un club ? Le cas de l’AS Saint-Etienne
Le club de Saint-Etienne est en vente. Ses dirigeants, Roland Romeyer et Bernard Caïazzo, l’ont annoncés très officiellement dans une lettre ouverte. Après 17 ans de présence, ils ont décidé de le mettre en vente et espèrent en tirer au moins 20 millions d’euros. Mais sur quelle base fixer ce prix ?
Depuis maintenant une dizaine d’années, la France est devenue une terre d’accueil des investisseurs étrangers, attirés par la perspective de placer ses billes dans des clubs de football, à stature professionnelle mais au ticket d’entrée plutôt faible, comparativement à ce qui se fait à l’étranger. Au début de la décennie, le Paris Saint-Germain a été vendu au fonds souverain qatari pour seulement 45 millions d’euros, l’Olympique de Marseille à moins de 50 millions d’euros, à l’homme d’affaire américain Franck McCourt.
Côté Niçois et Lillois, les deux équipes ont été vendues pour moins de 100 millions d’euros. Nous sommes très loin des tarifs définis à l’étranger, où les clubs de Premier League s’évaluent à plus de 500 millions d’euros, ou en Italie, où l’Inter Milan avait été cédé pour 275 millions d’euros et l’AC Milan à 700 millions (dont 200 millions d’euros de rachats de dettes). Investir en France, c’est une aubaine, c’est poser un premier pied sur le sol footballistique à peu de frais et avec l’idée de pouvoir dégager rapidement une plus-value, un retour sur investissement. Si le sportif marche convenablement, bien évidemment.
Et la crise a maintenu inchangé l’attractivité du pays. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, le TFC a été cédé à un fonds d’investissement américain, RedBird Capital Partners, pour 25 millions d’euros et Châteauroux, en Ligue 2, au prince Saoudien Saoudien Abdullah bin Mosaad contre un chèque de 2,8 millions d’euros. Les prix baissent et attirent de riches investisseurs, désireux de profiter de la situation et de dégager un intérêt significatif.
C’est effectivement gagnant pour ces derniers, mais pas forcément intéressant pour les propriétaires des clubs, qui auraient pu espérer revendre avec plus-value leur équipe. Avant la crise, le contexte était bien particulier, tout le monde pariait sur l’essor de la Ligue 1, sur la valorisation de ses droits TV, sur sa réputation à la hausse et sur l’excellence de sa formation, rémunératrice via le trading, et souhaitait se positionner. A présent, les facteurs déterminants se maintiennent, hormis peut-être la valorisation des droits TV, mais la crise bouleverse les capitaux des potentiels repreneurs et les désincitent à mettre autant d’argent qu’avant voire plus.
Concernant Saint-Etienne, interrogé par le journal L’Equipe, Roland Romeyer, qui avait acheté le club en 2004 avec Bernard Caïazzo pour 6 millions d’euros, espère en tirer a minima 20 millions d’euros. Se dit-il que la crise étant forte et durable, les actionnaires ne pourront pas en tirer plus. Ce n’est pas l’avis de son camarade Caïazzo qui, quant à lui, voudrait récupérer au moins 50 millions d’euros. Ça serait, selon lui, la valeur minimale d’un club historique, 10 fois champions de France et entré dans l’inconscient collectif français.
Mais comment est déterminé la valeur d’un club, sur quelles bases peut-on dire qu’une équipe vaudrait entre 20 et 50 millions d’euros, voire plus ? N’est-ce pas le contexte qui fixe la valeur ou le prix dépend de facteurs endogènes indépendants ? C’est ce que nous allons voir.
En pratique, il existe trois méthodologie pour déterminer la valeur d’un club de football. Ces dernières sont présentées dans le livre des économistes Luc Arrondel et Richard Duhautois, « L’Argent du football » : l’approche dite comptable, l’approche en termes de goodwill et l’approche stratégique.
L’APPROCHE COMPTABLE
La première intègre la valeur des actifs inscrits au bilan du club. Autrement dit, ce qu’il possède et à quelle hauteur. Une simple lecture des comptes de la DNCG permet de situer la valeur comptable de l’AS Saint-Etienne. En 2018/2019, le club présentait des actifs évalués à 82,83 millions d’euros, en augmentation de 85% depuis la saison 2012/13.
De plus, le résultat net – la différence entre les gains et les pertes – a toujours été positif depuis la saison 2012-2013. Preuve d’excédents d’exploitation pérennes et durables. Cela fait grimper la valeur de l’équipe bien que le club ait souscrit à des emprunts pour financer son fonctionnement. Le futur repreneur devra donc intégrer ce passif estimée, selon la presse sportive, à 20 millions d’euros.
En intégrant l’effet covid, dévalorisant d’au moins 30% la valeur de l’équipe, et la présence d’un passif long, on peut donc déterminer une valeur proche de 50 millions d’euros. Ce qu’avait annoncé Bernard Caïazzo.
L’APPROCHE GOODWILL
Ensuite, l’approche goodwill intègre, en plus de la valeur comptable, les actifs non évalués au bilan, à savoir la popularité (le nombre de supporters), l’histoire, le palmarès, le mythe, etc. Concernant l’AS Saint-Etienne, on peut admettre qu’un club présentant la 5e affluence de Ligue 1, avec un taux de remplissage moyen de 67% en 2018/2019, suivi par plus de 857 000 personnes sur les réseaux sociaux (soit plus que Bordeaux, Nantes ou Nice, par exemple), avec 10 titres de champion de France et une excellente réputation parmi les aficionados de Ligue 1, cela offre des actifs non évalués très élevés.
Le prix augmente alors. On peut associer un coefficient multiplicateur d’au moins 1,13 à la valeur comptable de 50 millions d’euros. Le prix minimum par l’approche goodwill monte à 57 millions d’euros.
L’APPROCHE STRATÉGIQUE
Enfin, l’approche stratégique tient compte des motivations de l’acheteur potentiel et des négociations qui vont s’opérer de gré à gré entre le club et les investisseurs.
Les dirigeants stéphanois vont fixer une valeur de départ comprise entre 50 millions (valeur comptable) et 57 millions d’euros (valeur goodwill), vont y associer un coefficient multiplicateur basé sur les perspectives économiques du club (stabilisation des droits TV, relance post-crise économique, bonification des forces sportives, du centre de formation, etc.). Ainsi, demander 60 millions d’euros ne serait donc pas absurde
En face, les potentiels repreneurs vont mettre en avant le contexte économique, la mauvaise conjoncture, la faillite de Médiapro France, le Brexit, les risques à investir dans le football et vont imposer une négociation du prix à la baisse. Mais ils pourront être gagnants sur les potentielles valorisations en trading, en image, en notoriété et en performance sportive. En conséquence, proposer 30 millions d’euros comme prix de départ ne serait donc pas absurde, quitte ensuite à faire monter les enchères.
Le prix de négociation devrait donc débuter à 30 millions d’euros et pourrait parfaitement atteindre voire dépasser les 60 millions d’euros.
Pierre Rondeau