Super League européenne, pourquoi ça a échoué ?
La polémique a duré 48 heures. Pendant deux jours, 12 clubs européens ont fait dissidences et ont directement menacé l’UEFA de quitter l’instance officielle pour créer leur propre compétition autonome et privée. Mais très rapidement, le soufflet est retombé, les équipes sont revenus dans le lot et ont fait amende honorable. Que s’est-il passé exactement ?
Dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 avril, la sentence est tombée : 12 clubs européens (Manchester United, Manchester City, Arsenal, Chelsea, Tottenham, Liverpool, Atlético Madrid, FC Barcelone, Real Madrid, Juventus de Turin, Inter Milan, AC Milan) annoncent la création d’une Super League, organisée en dehors de l’autorité de l’UEFA et dans le but de faire face aux pertes colossales de la crise économique.
TOUT EST UNE QUESTION D’ARGENT
La volonté est claire, et évidente. Elle n’est que financière. La pandémie de coronavirus a causé une chute considérable des revenus des clubs de football, estimée à plus de 6 milliards d’euros sur toute l’année civile 2020, et les contraintes sanitaires se maintiennent en 2021. Florentino Pérez, président du Real Madrid et grand artisan de la Super League, parle même d’absolu nécessité, de solution pour « sauver le football ». Selon lui, des équipes pourraient faire faillite si rien n’est fait.
En face, pendant plus d’un an, l’UEFA interpellée a cherché des solutions, a proposé de réformer sa ligue des Champions, pas assez rémunératrice selon certains, aux vues de sa popularité. Dès 2024, les fans de foot devraient voir débarquer une compétition augmentée, avec plus de participants, plus de matchs, plus de rencontres donc plus d’argent. Mais ça ne va pas assez vite. Alors que la plupart des grands clubs exigeaient des actions rapidement, au moins dès 2022 voire la rentrée prochaine, l’UEFA n’a pas suivi et a préféré tergiverser.
Conséquence, la fronde est arrivée et tout a été chamboulé. Les 12 clubs les plus riches du continent, hors PSG, Bayern Munich et Dortmund, qui ont préféré rester avec l’UEFA, se sont alliés pour lancer une Super League européenne, compétition privée, fermée et non-officielle, ultra-rémunératrice, financée par la banque d’affaires américaine JP Morgan, à hauteur de 4,5 milliards d’euros par an dès la première saison (rappelons que le prize-money de la Ligue des Champions est, sur la saison 2020-2021, de 2,04 milliards d’euros à partager entre 32 équipes participantes), à la portée internationale sans commune mesure. Une véritable révolution en marche.
RIEN N’A FONCTIONNÉ
Seulement, elle n’a duré que 48 heures. Dès le mercredi 22 avril, quasiment tous les clubs se sont retirés, ne laissant que la Juventus et le Real Madrid, motivés pour tout changer mais abandonnés à leur propre sort. Que s’est-il passé pour que cette organisation floppe à ce point ? Pour que tout l’édifice structuré et organisé depuis quasiment 1 an ne fonctionne pas et ne prenne pas dans le cœur des européens ?
Tout d’abord, le mérite en revient aux supporters, notamment en Angleterre, où, sitôt l’annonce faite, ils sont allés manifester leur refus total et complet pour la Super-League. Ils n’en voulaient tout simplement pas. Cette compétition fermée, d’inspiration nord-américaine, allait totalement remettre en cause la logique historique de la méritocratie sportive européenne, faite de performances et de réussites, d’accessions et d’épopées.
https://twitter.com/RMCinfo/status/1384372591767560192
Les supporters ont ensuite été rejoints directement par les joueurs et les coachs des équipes dissidentes, comme Klopp, à Liverpool, ou Guardiola, à Manchester City. Ces derniers ont rejeté ce projet, alors même que leur propres dirigeants mettaient en avant la nécessité économique de le mettre en place. Clairement, une impréparation de leur part, sans aucune communication en interne ni effort de pédagogie auprès de leurs propres salariés, joueurs et coachs.
Puis, l’opposition politique a été tenace et absolue. Très rapidement, dans les heures qui ont suivi l’annonce, Emmanuel Macron, en France, et Boris Johnson, au Royaume-Uni, se sont opposés à la Super League, menaçant de sanctions et carrément de changer les lois afin d’empêcher sa mise en place. Même la commission européenne, par l’intermédiaire de son vice-président Margaritis Schinas, s’est affichée contre.
Conséquence, la pression s’est aussi installée côté justice et débat juridique. Alors que la jurisprudence était en faveur des dissidents, après que la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans un litige opposant deux patineurs de vitesse néerlandais et la fédération internationale de patinage sur la participation à une compétition privée et indépendante en 2018, ait donné raison aux premiers. La libre-concurrence dans le sport et la lutte contre le monopole des fédérations devaient être appliquées et accordaient ainsi un passe-droit juridique à la Super League.
Seulement, l’article 165 du Traité de Lisbonne admettait la « spécificité » du sport, et permettait l’interprétation d’un juge, en faveur ou non de l’UEFA. Et la menace politique, de changer les lois, a mis un coup d’arrêt aux ambitions des clubs dissidents. Alors qu’ils pensaient avancer sans encombre, ils ont totalement été freinés par cette pression populaire, juridique et politique.
Rajoutez à cela la menace de sanctions de l’UEFA, de suspendre de Ligue des Champions Chelsea, Manchester City et le Real Madrid encore en course, d’interdire la sélection en équipe nationale les joueurs participants à la Super League, vous vous retrouvez avec un projet bien attaqué et bien fragilisé. Il n’aura au final tenu que 48 heures.
Néanmoins, rien n’est fini pour autant. La Super League est certes enterrée mais elle n’est pas abandonnée pour autant, ce fantasme pourra parfaitement revenir dans les saisons prochaines si rien n’est fait pour soutenir les finances des clubs et surtout assurer une forme de régulation et de stabilité. Si le foot d’aujourd’hui venait à mourir, il serait malheureusement remplacé par ce football voulu par les partisans de la Super-League. Pour éviter que cela arrive, il faut tout simplement agir avant le déluge.
Pierre Rondeau